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La Circulaire 120 de la BRH, une étape importante pour le développement de la finance haïtienne

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Par Robert Paret Jr., Président du Groupe ProFin – 3 juin 2022

Le 14 mai 2012 marque un tournant important pour le secteur financier haïtien. C’est en effet à cette date qu’est définitivement adoptée la plus récente loi portant sur les Banques Commerciales et les Autres Institutions financières. Elle s’est fait attendre et remplace ou compense de nombreux textes juridiques anciens qui ne suffisaient plus à encadrer un secteur financier en plein développement et faisant face à des mouvances importantes à l’échelle locale et internationale. En effet, la finance mondiale subit des changements importants et rapides, tant sur le plan des évolutions technologiques, des interconnexions des marchés, qu’en ce qui a trait aux risques liés à l’usage des canaux financiers pour faciliter des activités illicites (terrorisme, trafic, corruption, fraude, etc…). La Banque de la République d’Haïti (BRH) et le législateur ont donc souhaité, à travers la loi de 2012, adapter le cadre législatif et réglementaire aux évolutions susmentionnées. 

Cette loi, pour la première fois, place de façon explicite l’ensemble des institutions financières sous le couvert d’un même texte règlementaire. Ainsi, cette législation s’applique simultanément aux Banques, aux Sociétés Financières de Développement, aux Maisons de Transfert, aux Agents de Change, aux Sociétés de Carte de Crédit, aux Sociétés d’Affacturage et (last but not least) aux Sociétés de Promotion des Investissements. Ces dernières font ainsi leur apparition pour la première fois dans le cadre légal haïtien et constituent probablement la nouveauté la plus importante de ce texte de loi, dans la perspective de la création d’un marché de capitaux haïtien. 

De manière explicite, la loi confie aux Sociétés de Promotion des Investissements la responsabilité de servir d’intermédiaires dans des opérations de placement de valeurs mobilières auprès du public. Ainsi, une catégorie spéciale d’acteurs financiers est créée pour permettre à des entreprises, institutions, projets créateurs de richesses, de recourir à l’épargne publique pour financer leurs besoins en capitaux, ce en émettant notamment des actions, ou des obligations. Si cet ajout au panorama financier local est une grande opportunité pour les entreprises haïtiennes, c’est aussi et surtout une évolution exceptionnelle pour les épargnants haïtiens qui, finalement, ont l’option de pouvoir faire fructifier leurs avoirs en plaçant leurs économies dans des titres financiers appelés à être accessibles à une frange plus large de la population. Dans un contexte où la rétribution de l’épargne de long terme est particulièrement faible et où les systèmes de gestion de la retraite sont défaillants, c’est un pas important pour les familles haïtiennes qui, pour la plupart, n’ont pas l’opportunité d’accéder aux marchés financiers internationaux.

L’entrée en vigueur de la loi du 14 mai 2012 a eu des impacts rapides sur le panorama du secteur financier. Moins de 4 ans après sa promulgation, ProFin devenait la première société (et unique jusqu’à date) à bénéficier du statut de Société de Promotion des Investissements. Cette institution financière dont j’ai eu le privilège d’être l’un des fondateurs a rapidement contribué à jeter les bases d’un marché de capitaux prometteur. Avec mes partenaires, nous sommes fiers d’avoir pu contribuer à faire bouger les frontières de la finance haïtienne, dès 2013, malgré l’absence à l’époque de directives claires. Toutefois, force est d’admettre que le développement durable de tout nouveau marché exige un encadrement réglementaire adapté. En effet, dans le domaine de la finance, plus que partout ailleurs, il est important de réglementer le comportement des acteurs, ce dans l’intérêt du système et de ses usagers, tout particulièrement les épargnants et investisseurs.

Ainsi, la Circulaire 120 de la BRH émise le 25 mai 2021 est venue à point nommé pour adresser la question de l’appel public à l’épargne, c’est-à-dire l’émission ou la cession de titres financiers dans le public en général, en ayant recours soit à la publicité, soit au démarchage. Elle couvre en même temps la question des placements restreints, c’est-à-dire ceux destinés à des groupes limités d’investisseurs avertis. Il est important de retenir que, dans les deux cas, la Circulaire fait obligation aux entreprises qui ont l’intention d’émettre des titres de recourir aux services d’un Prestataire de Services d’Investissement. Ce rôle est dévolu principalement aux Sociétés de Promotion des Investissements, aux Banques et aux autres entités agréées par la BRH dont l’objet social prévoit l’activité de placement ou de conseil en investissement en titres financiers ou valeurs mobilières. Il est donc important pour les acteurs du secteur privé haïtien d’être imbus de cette évolution et des obligations qui leur incombent dans la perspective d’émissions de titres financiers à grande échelle, ou dans un cadre limité. Nous résumons ci-après quelques informations à retenir par tous ceux intéressés par la question.

Il convient tout d’abord de retenir que les titres pouvant être émis sous le couvert de la Circulaire 120 sont, notamment, les actions ordinaires ou privilégiées et les obligations de toutes maturités (convertibles ou non). Cette diversité laisse une grande flexibilité à chaque potentiel émetteur pour bâtir une stratégie financière adaptée à ses objectifs en recourant à des produits financiers modernes. Naturellement, établir une telle stratégie implique également de s’appuyer sur des experts de la finance qui peuvent aider à structurer des titres qui tiennent compte des particularités de chaque entreprise, de son secteur d’activité et de la typologie des investisseurs ciblés pour accomplir la levée de capitaux envisagée.

La BRH a également fixé un certain nombre de critères d’éligibilité pour les sociétés émettrices. Elles doivent notamment :

  • avoir le statut de société anonyme ;
  • compter au moins 5 ans d’existence ;
  • avoir atteint leur seuil de rentabilité ;
  • être dotées d’organismes d’administration et de direction fonctionnels, notamment des Conseils d’Administration formés de membres disposant de connaissances et de compétences en matière d’administration d’entreprise ;
  • être dirigées par des cadres et administrateurs dont la réputation et l’intégrité ne sont pas entachées ;
  • appliquer les principes de bonne gouvernance généralement admis ;
  • avoir une comptabilité conforme aux normes généralement reconnues ;
  • être régulièrement auditées par un vérificateur indépendant, ce depuis au moins deux ans ;
  • être en règle avec les lois fiscales.

Il convient de retenir que, selon la Circulaire, certains cas particuliers peuvent être pris en compte et la BRH dispose d’une autorité d’exemption dans lesdits cas, particulièrement en ce qui a trait au nombre d’années d’existence requis.

Pour beaucoup d’entreprises locales, l’inventaire qui précède pourrait ressembler à un parcours du combattant. Toutefois, les acteurs du secteur privé haïtien gagneront à mesurer les efforts qu’il leur resterait à consentir pour se rendre éligibles au statut d’émetteur, si elles ne le sont pas encore. Certaines conditions requièrent en effet un délai et des mises en place. Ainsi, les entreprises qui envisagent de tirer tous les bénéfices qu’offrent les marchés de capitaux doivent se préparer. Nous les encourageons à se  tourner vers des professionnels pour évaluer leurs options.

Rappelons quelques-uns des avantages que procurent les marchés de capitaux qui peuvent justifier les mises en place exigées : 1) Ces marchés permettent tout d’abord d’accéder à des ressources stables et adaptées pour financer des besoins de long terme, ou pour renforcer la base de fonds propres d’une entreprise. 2) L’émission de valeurs mobilières permet également de créer une structure financière qui réduit souvent les coûts financiers et/ou la pression du service de la dette sur le cash-flow des entreprises. Dans un contexte d’incertitudes locales et mondiales, les deux éléments qui précèdent devraient être sérieusement considérés par les entrepreneurs locaux.

Les marchés de capitaux sont également l’opportunité pour les entreprises qui en respectent les règles de valider leur valorisation par le biais de mécanismes de marché. De nombreuses entreprises disposent d’une valeur latente importante. Toutefois, celle-ci ne peut être véritablement exprimée que quand un nombre important d’investisseurs s’intéressent aux actions qu’elles peuvent émettre. De surcroît, l’expérience a montré que de nombreuses entreprises locales (notamment familiales) ont perdu l’opportunité de se pérenniser faute de tirer parti des avantages qu’offrent les marchés de capitaux. Ainsi, des valeurs créées sur plusieurs générations s’amenuisent au fil du temps, faute de ressources stables, de modernité financière, d’ouverture et de vision stratégique. Généralement, le recours aux marchés de capitaux sont favorables à tous ces éléments. Il est vrai que, jusqu’à un passé récent, les conditions d’émissions de titres pouvaient sembler illusoires en l’absence d’un cadre règlementaire et d’acteurs spécialisés. Les dispositions prises par la BRH, depuis la loi du 14 mai 2012 jusqu’à la publication de la Circulaire 120, viennent en grande partie, rendre plus simple l’accès à ces marchés. Aux entrepreneurs haïtiens de se mettre en position afin d’en tirer profit !

Soulignons toutefois que les marchés de capitaux, s’ils représentent une opportunité nouvelle pour mobiliser des ressources, imposent également des responsabilités aux sociétés émettrices. Le respect de ces obligations est essentiel pour protéger le système financier dans son ensemble et particulièrement les épargnants et investisseurs. Les acteurs du secteur privé désireux de bénéficier des avantages de la finance moderne doivent également être conscients de leurs devoirs.

Nous avons plus haut mentionné tout d’abord l’obligation qui leur est faite de recourir à des professionnels de la finance pour assurer des émissions de titres. Nous nous devons d’insister sur cet aspect, car les intermédiaires en question disposent de la technicité (et des habilitations réglementaires) pour les encadrer, assurer les vérifications diligentes imposées par la BRH et aussi produire les documents obligatoires qui accompagnent une émission de titres. En effet, toute émission publique requiert notamment la production d’un prospectus qui est une note d’information détaillée destinée aux investisseurs potentiels. Ce document doit être produit en respectant les directives de la BRH qui le sanctionne par un visa.

Même dans le cas des placements restreints, la Circulaire 120 de la BRH prévoit que « tout émetteur est assujetti à l’obligation d’établir un Mémorandum d’information aux Investisseurs (MII) avec le concours d’un Prestataire de Service d’Investissement, lequel devra effectuer les diligences nécessaires conformément aux meilleures pratiques de la profession ».

La base des obligations incombant aux sociétés émettrices repose avant tout sur l’accès à l’information pour les souscripteurs, aussi bien au moment de l’émission qu’après et ce, de façon périodique. Les informations porteront notamment sur les questions financières, les prévisions, mais également sur la gestion de l’entreprise et plus largement sur tout événement important intervenant dans la vie de la société. La transparence est de rigueur et elle doit notamment être renforcée par l’intervention d’auditeurs externes indépendants.

A noter également l’importance pour l’émetteur et les intermédiaires financiers de prêter une attention particulière aux délits d’initiés qui consistent à faire réaliser ou de permettre de réaliser, directement ou indirectement par personne interposée, une ou plusieurs opérations sur la base d’informations privilégiées. C’est un élément important sur lequel tous les émetteurs potentiels doivent être tout particulièrement sensibilisés.

Les lignes qui précèdent n’ont pas pour but de dresser un inventaire exhaustif des dispositions de la Circulaire 120 de la BRH. Nous encourageons tous ceux qui peuvent s’intéresser au sujet à consulter le texte complet de la Circulaire 120 sur le site officiel de la BRH (https://www.brh.ht/), ou de se rapprocher de spécialistes financiers pour en discuter plus en profondeur. Nous espérons néanmoins avoir pu sensibiliser les entreprises haïtiennes sur l’existence de ce nouveau cadre de référence. Ce texte réglementaire crée une opportunité sérieuse pour les entreprises locales capables de répondre aux exigences et désireuses de s’inscrire dans le sens de la modernité financière. Il permet également au secteur privé haïtien de s’inscrire dans une démarche d’ouverture pouvant permettre à un nombre plus important de nos compatriotes de participer aux espaces de génération de valeur ajoutée.

A un moment où les défis sociaux sont grands dans notre pays, la finance peut se transformer en un outil d’intégration permettant la promotion et la protection de la richesse par une participation plus large à sa création. Secteur privé haïtien : la balle est désormais dans votre camp !