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Fermeture de la frontière entre Haïti et République Dominicaine : quels enjeux ?

  • Posted by: AmCham Haiti
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Le commerce entre Haïti et la République Dominicaine n’a pas toujours été aussi important.
En 1967, la République Dominicaine vendait vers Haïti pour un peu plus de 300 mille dollars
américains. Qui pis est, à cette époque, Haïti avait une balance commerciale excédentaire
par rapport au voisin.

Aujourd’hui le commerce est totalement déséquilibré en faveur de la République
Dominicaine. Les chiffres de 2021 font état de plus d’1 milliard d’exportations dominicaines
vers Haïti contre seulement 11 millions de dollars d’exportation haïtiennes vers son voisin.
Avec des importations en provenance de la République Dominicaine autour de 2.7 à 3
million de dollars par jours, Haïti capte entre 8 et 10% des exportations totales dominicaines
et se positionne comme la deuxième destination des produits dominicains dans le monde
après les États-Unis.

Qu’est ce qui explique ce déséquilibre ?
Au-delà des mesures de libéralisation qui ont grandement favorisé l’importation des
produits étrangers à la fin des années 80 et la gouvernance chaotique de nos dirigeants,
l’embargo qui a suivi le coup-d ’État de 1991 a été l’un des premiers grands moments
d’accélération des exportations dominicaines vers Haïti. Le séisme de 2010 a été un autre
moment important dans les échanges commerciaux entre les deux pays. En effet, les dégâts
du séisme sur le tissus productif haïtien a grandement accéléré la dépendance par rapport
aux produits dominicains. Entre 2009 et 2011, les exportations dominicaines vers Haïti ont
crû d’environ 60%.

La crise socio-politique et sécuritaire des cinq dernières années, elle aussi a grandement
réduit la capacité productive de l’économie haïtienne et a poussé de nombreuses
entreprises à se délocaliser sans compter les faillites. D’une manière ou d’une autre, le
premier pays qui en profite de notre catastrophe est la République Voisine.

 

On fait quoi maintenant ?
Maintenant nous sommes en face d’une frontière fermée. Haïti doit continuer à utiliser les
ressources diplomatiques pour désamorcer la bombe. Car même quand on sait que le grand
perdant sur le plan commercial reste la République Dominicaine, il est clair que la fermeture
va affecter négativement la disponibilité des produits et éventuellement entrainer une
hausse de prix sur le marché local. De nombreuses entreprises qui s’approvisionnent en
matière première en République voisine vont avoir des difficultés. Il faut admettre aussi que
les recettes douanières de la frontière terrestre vont être révisées à la baisse à cause de
cette situation.

 

Il est plus qu’urgent pour nous de travailler dans une premier temps pour arriver à
diversifier nos partenaires commerciaux pour être moins dépendants de la République
Dominicaine. Dans un deuxième temps, il est plus que nécessaire pour l’État haïtien de créer
de meilleurs conditions pour favoriser la production agricole et industrielle. Le canal de la
rivière Massacre adresse uniquement la question de l’accès à l’eau. Cependant les défis du
secteur productif haïtien sont nombreux. Comment on pourra relancer la production sans la
sécurité, sans les routes agricoles, sans de meilleures qualité de services au niveau des
douanes, sans que les producteurs puissent avoir accès à des équipements et des intrants a
meilleur prix ? Du coté des industriels, comment ils pourront résister et être compétitifs par
rapport aux dominicains si les douanes les découragent, si l’insécurité les prend en otage, si
les coûts énergétiques sont aussi importants faute d’une EDH performante ?

Il existe encore en Haïti, un bon nombre d’entrepreneurs, parmi eux des industriels qui
veulent investir plus, mais il faut un environnement attractif aux affaires. La République
Dominicaine ne pourra pas de toute façon garder la frontière fermée indéfiniment, d’ailleurs
les producteurs qui ont l’habitude de vendre vers Haïti commencent à mettre de la pression
sur le gouvernement dominicain. Ces entreprises ne vont pas accepter de perdre un marché
de proximité, qui a des coûts réduits en termes de transport et qui absorbe par exemple
environ 50 millions d’œufs par mois. Au-delà de la diplomatie comme moyen pour faire
baisser les tensions, il faut à moyen et à long terme construire ou renforcer ses capacités
économiques et diversifier ses partenaires commerciaux c’est la vraie réponse durable.

Etzer EMILE, MBA
Économiste